Le F.E.R. : DANGER POUR LE SENEGAL(1)

    L’actualité socio-politique au Sénégal ramène hélas sur le devant de la scène un appel qui a déjà été lancé par un citoyen sénégalais et lui donne un ton d’alarme. Il ne suffit plus de le lire ou de l’entendre. Il s’agit de l’exploiter à bon escient, de réagir en conséquence, dans l’intérêt de toute la nation.

    A l’aube du 3è millénaire, il est bon de s’arrêter sur l’importance de l’unité et de la cohésion interne des états et des nations. Quand le monde entier devient un village planétaire la confirmation de l’identité nationale s’en trouve paradoxalement d’autant plus exigée. Bien loin de l’isolement suicidaire cependant, il s’agit d’une affirmation positive de soi, dans ses valeurs de civilisation, pour éviter de se retrouver les mains vides au rendez –vous du donner et du recevoir, le banquet des nations où chacune apporte aux autres et en reçoit. C’est bien là l’un des fondements de la civilisation de l’universel évoquée par le premier président de la république du Sénégal, monsieur Léopold Sédar Senghor. Pourtant, pour ce qui concerne ce Sénégal, cher à tous ses fils de naissance et d’adoption, ainsi qu’à ses amis de longue ou fraîche date, le bijou si précieux est sérieusement et de plus en plus mis en péril par un triple danger qui a partout fait des ravages. Il s’agit du F.E.R : fanatisme, ethnicisme et régionalisme.

1° Fanatisme. 

    Une conviction, quelle qu’elle soit, qui en arrive, à son stade ultime, au rejet de l’autre, est dangereuse. Le processus commence habituellement par une acceptation de l’autre du bout des lèvres. On le tolère tout simplement, surtout s’il peut encore vous apporter quelque chose. On le marginalise de façon insidieuse mais certaine. Il a de moins en moins droit au chapitre. Sinon chaque fois qu’il s’exprime, l’on entoure son message d’une répartie subtile mais au moins objectivée. Puis, sournoisement, l’on estime qu’il dérange. Dés lors, tous les moyens sont bons pour le réduire au silence. Le fanatisme religieux, lui, a ses manifestations externes et d’autres internes. Dans le premier cas, il rejette ceux d’une autre religion. Et dans le dernier, il privilégie son propre groupe religieux à l’encontre d’autres de la même religion ! Politique ou religieux, le fanatisme s’avère ainsi comme une forte menace contre la cohésion nationale, la cohabitation pacifique et conséquemment contre la paix. Et le Sénégal n’échappe point à la règle. Sur le plan politique, nous savourons les fruits juteux de la démocratie et de l’alternance au point de servir de modèle, sinon de pionnier dans la sous-région. Mais dans les faits, une volonté aveugle de changement risque d’écarter des compétences certaines. Heureusement que des « hauts d’en haut », comme disent nos cousins ivoiriens, semblent conscients des risques de dérapage en ce domaine. Au niveau religieux, les évènements relatés par la presse il y’a quelques mois et ces derniers temps sont plus qu’inquiétants : attaques de lieux de cultes protestants(2) et menaces de mort contre des évêques (3). Et il faudrait être inconscient ou patricide pour les négliger. L’entorse faite aux fondements constitutifs de la nation est évidente. Et cela va à l’encontre de nos valeurs séculaires de paix, de convivialité et de sens bien compris du sacré. Sans doute qu’il nous faille aussi faire des investigations du côté des mesures d’accompagnement. Qu’est-ce qui dans la pratique culturelle d’un groupe ou ses contributions dans la cohésion et le développement nationaux dérange l’entourage ? Le mode de prière, le bruit par les paroles, les haut-parleurs ou les appareils de musique tel que le tam-tam ou magnétophones ? Est-ce la proximité des lieux d’habitation ? A ces niveaux, il faut avouer que toutes les confessions religieuses ont des efforts à faire pour éviter les tapages diurnes autant que nocturnes ! En outre, dans la gestion de l’espace, nos urbanistes, promoteurs d’habitat et administrateurs sont également interpelés. Ils sont rares en effet les quartiers de nos villes où l’on a prévu assez de lieux de culte pour toutes les religions pour permettre aux uns et aux autres de pratiquer leur adoration à Dieu dont nous nous plaisons tous à dire qu’il est UNIQUE (WAAHID.). Un autre mobile, aussi sordide consisterait à vouloir induire l’opinion publique en erreur creusant à dessein un fossé dangereux entre les victimes et l’état chargé de la sécurité de tous. Pour tous ces motifs, il y’a lieu d’éduquer à la paix et au respect réciproque et de mettre en place un environnement propice. Et en cas de litige, passer par la concertation, un dialogue bien compris, et à défaut de solution à l’amiable, s’en référer aux voies légales de recours. Nous sommes bien dans un pays de droit !

2° Ethnicisme

    Nous parlons bien de ce comportement qui consiste à privilégier son groupe ethnique en défaveur ouverte ou dissimulée des autres. Dans les périodes de hordes où l’organisation sociale n’était que primaire, des peuples ont recouru à un tel comportement pour se protéger et émerger par rapport aux autres. L’une des formes exacerbées de l’ethnicisme est le racisme. Si nous sommes tous prompts à condamner le second, le premier échappe souvent à notre vigilance quand nous n’en sommes pas les acteurs. Ramené aux dimensions nationales, le phénomène a des effets de gangrène. Il pollue l’environnement social immédiat et aboutit à l’éclatement que chacun des protagonistes s’empresse de mettre sur le dos de l’autre. Au Sénégal, nous nous réjouissons de ce que nous soyons encore loin des dissensions ethniques que les média nous content régulièrement sur certains pays d’Afrique, d’Europe ou des Amériques. Beaucoup de facteurs nous aident ici autant que des brise-glaces ou des désamorceurs de bombes. On peut en citer les éléments qui suivent. La religiosité des Sénégalais, le réalisme face aux différentes imbrications sociales et géographiques, les cousinages à plaisanterie entre certaines ethnies (poularophones, cerfs des Sérères) et entre beaucoup de familles patronymes (Diop, Ndiaye et Sarr, par exemple.)Mais il faut oser avouer que ce précieux équilibre est bien fragile. Et il y’a lieu de rester vigilant pour cultiver cette valeur sous peine de saborder <notre embarcation> SUNUGAL. C’est ainsi que les efforts qui sont faits en direction de la promotion des langues nationales sont très louables. Tout le mérite des Sénégalais en la matière sera d’arriver à un bon équilibre entre enracinement culturel et ouverture aux autres immédiats et au monde !

3°Régionalisme

    Que dire de ce fléau qui a miné beaucoup de nations à l’instar d’un ver dans un fruit juteux ? Or parmi les bouillons de culture de cette chenille qui se développe à la manière d’un criquet ravageur, il faut citer des facteurs endogènes et d’autres exogènes. Au premier niveau, des individus sous la noble ambition de défendre les intérêts de leur terroir, de développer leur secteur, cultivent et encouragent des sentiments dont la transcription en termes de rapport avec le reste de la nation se traduit souventes fois en conflit. Malheureusement, des faits extérieurs pourraient donner un semblant de raison à ces têtes de ponts. Quand dans une nation, des agissements sont assimilables à la négligence d’une zone ou au favoritisme d’une autre, l’on se trouve de facto devant le début d’un régionalisme auto-défensif. Il ne faut cependant pas oublier que des hyènes cachées dans les broussailles (ailleurs l’on parle de loups), trouvent leur compte dans les conflits nés de ces situations : vendeurs d’armes ou de drogues, mercenaires etc. Bien fondé dans ces objectifs de développement local, le régionalisme à outrance se trompe de stratégie, de moyens et d’époque à l’heure des grands ensembles et du village planétaire, les petits pays perdent de sens et de viabilité, à plus forte raison les régions. Les Etats-Unis d’Amérique et la communauté européenne sont là pour nous servir d’exemple et nous ouvrir la route en pionniers. Nous attendons avec impatience la mise en place effective de grands ensembles sur le continent africain, sur les plans politiques, économiques et socioculturels. Mieux, chacun de nous est appelé à travailler selon son niveau de responsabilité et son rayon d’action. Mais au premier stade, prélude indispensable à ce noble rêve pour l’Afrique, le raffermissement de la conviction nationale est à faire. Et c’est notre affaire à tous, politiques et civils, religieux et profanes. Et dan ce chemin parsemé d’embûches, où les avancées et le recul se suivent, une vraie démocratie apparaît comme un environnement favorable. Comprendre non pas une hégémonie aveugle du grand nombre mais un consensus résultant de la concertation de tous ou de leurs dignes représentants. Sur ce point, les textes sur la décentralisation au Sénégal représentent un atout de taille tout à l’honneur de leurs concepteurs et de tous ceux qui aident les populations à les connaître et les mettre en œuvre. Pour être en train de participer à leur vulgarisation dans 25 collectivités locales avec une ONG de la place, nous parlons en connaissance de cause, sans ignorer que toute production humaine est perfectible.

    Ainsi, vu notre impérieuse nécessité de renforcer nos acquis en matière d’unité nationale et de coexistence pacifique, vu les dangers réels souvent joliment empaquetés dans le fanatisme, l’ethnicisme et le régionalisme, nous osons espérer que tous ceux qui aiment réellement le Sénégal feront de leur mieux pour sauver ce pays du F.E.R.

fngor2587@yahoo.fr

Spécialiste en éducation et sociologie du développement

Patriote sénégalais engagé dans le dialogue inter-religieux

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(1). Article publié dans la presse privée sénégalaise en 2003. Malheureusement, les 29.03.05 et 9.03.21, il est toujours d’actualité.

(2). Voir réaction de la Radho à la suite de l’attaque de l’église protestante de Dieupeul III : Walfadji n°  3429 du 21.08.03, page 7.

(3). Voir les quotidiens sénégalais du 6 au 9 janvier 2004, particulièrement Le Populaire n° 1242 du mardi 6.01.04, page 5.

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